mercredi 15 août 2007

Conte cruel et joyeux à l'égard de l'enfant inutile

Automne 1989 : publication de la nouvelle sous le titre "La dame aux chats", dans le numéro 16 de la revue trimestrielle NOUVELLES NOUVELLES, sous la direction de Daniel Zimmerman.

Une dame à son balcon pelait des chats.
C'était une belle soirée d'été, un soleil d'or chaud jetait ses ombres sur les rosiers rouges. Les roses, grâce aux soins des jardiniers municipaux, venaient battre les flancs de l'immeuble comme une mer pourpre, traversée par quelques noirs chemins d'asphalte.
Plus loin, une plage goudronnée se couvrait et se découvrait, selon les heures, d'automobiles multicolores.

La nuit allait être longue, embaumée par les parfums de roses. Depuis l'arrivée du nouveau gouvernement, les nuits étaient de plus en plus longues. Les nouveaux décrets de variations horaires ordonnaient le lever du jour à minuit. Il faisait jour très tôt, et à part quelques aveugles mal intentionnés et jaloux qui reprochaient à ce jour de n'être pas éclairé plutôt que de reconnaître leur infirmité, tout le monde était enchanté de ces belles nuits illuminées.
Les amants s'aimaient doublement. Les enfants assourdissaient les immeubles et leur mère en hurlant deux fois plus fort, au lieu de dormir tout leur soûl, comme ils n'avaient pu le faire sous les anciens gouvernements.

Les malades n'avaient plus d'heure pour mourir. Ainsi pouvaient-ils surprendre plus aisément leur famille attentive, et ravie, par des départs spontanés et inattendus. Du coup, le corps médical manquait quelques magnifiques tentatives de réanimation, de celles qui font vibrer les coeurs des nouvelles veuves, et s'enthousiasmer les vieillards rescapés de la mort de leur grand fils.

Cela ne troublait pas la dame, qui avait plus de temps pour peler ses chats. Quand elle en avait pelé une, elle mettait la pelure à sécher sur les croisillons de bois vert qui ornaient le mur de son balcon.
Ces croisillons servaient à faire pousser une adorable vigne, vierge, qui ne pouvait de ce fait donner de raisin. Entre les vrilles et les feuilles gracieuses de la vigne séchaient les pelures noires, blanches, rousses ou tachetées des chats du moment.
Par temps chaud, leur odeur légèrement faisandée venait agréablement pimenter celle, un peu lourde parfois, des roses.

Ce soir-là, dans la marée pourpre qu'elle surveillait attentivement derrière ses fines lunettes dorées posées sur le bout de son nez, quelques bébés du jour vaquaient à leurs premières occupations.
C'était des bébés que les mamans étaient venues faire là, à l'ombre du balcon de la dame qui aimait les chats, parce qu'elles n'avaient ni temps ni espace à leur consacrer, ou parce que c'était un joli cadeau de naissance que de leur donner la chance de pousser seuls, en dehors des nécessités d'amour et de politesse réciproques que se devaient parents et enfants reconnus et reconnaissants.
Les bébés de ce jour étaient frais comme des choux, vigoureux, braillards, batailleurs et gais, ambrés et roses, quelques uns étaient même complètement noirs.
Ils poussaient rapidement, et comme ils étaient activement recherchés par les jardiniers municipaux, avec les pucerons, cochenilles et autres parasites, le soir de leur arrivée ils savaient déjà se faufiler jusque dans les caves, où ils restaient cachés tant qu'ils étaient un peu faibles. Très vite, ils se couvraient à même la peau d'une mince pellicule noire qui en s'épaississant leur faisait un bel habit, doux et souple, garni de jolies chaînes et anneaux qu'ils mettaient coquettement à l'oreille.
Certains, après le passage des jardiniers, avaient effectivement disparu. On ne les revoyait qu'exceptionnellement. Ils racontaient alors des histoires de maisons fermées, ou des messieurs à casquette les faisaient dormir sur ce qu'ils appelaient des lits, et autres balivernes de ce genre auxquelles, fort heureusement, nul ne prêtait attention !

Ils forcissaient et grandissaient donc à l'ombre bienfaisante des caves, se nourrissaient de ce qu'ils trouvaient, ferrailles et chiffons arrosés d'huile et de graisse noire.
Ils restaient très joueurs, les occasions ni les idées ne manquaient. Ils ne sortaient qu'à la nuit, et le jeu le plus recherché consistait à gagner sans se faire prendre la plage d'automobiles, à cette heure couverte par lesdits engins. Ensuite, il ne s'agissait plus que d'y rechercher la banquette la plus moelleuse, l'arbre à musique le plus mélodieux, et de jouer à la personne :"- tu as du feu ? - bien sûr, mon chéri - tu es sûre que le gosse dort ? - il dormirait si ta mère ne faisait pas tant de bruit ! - elle ne fait pas de bruit, elle ronfle; tu ne voudrais pas qu'on la poste pour si peu ? - on en a posté d'autres, et pour moins que ça ! - oui, mais c'est ma mère... et tant qu'elle ne mange pas le petit, on la garde ! - à moins que... et si on trouvait un bon taxidermiste ? - hum... c'est une idée... mais il faut d'abord qu'on finisse les traites de la voiture... je t'avais bien dit que ce serait difficile à avaler... oui, c'est une bonne idée, comme ça on pourra la garder tout le temps. - et on évitera les frais de poste." Et cela durait des heures, jusqu'à ce que minuit sonne et que le jour se lève. Les caveux ne se lassaient pas de jouer à la personne. Ils utilisaient des bribes de conversation qu'ils volaient en traînant dans les couloirs des immeubles, pendant les jours fériés, l'oreille collée aux portes, à l'affût des moindres sons émis par les personnes enfermées.
Il était interdit, par décret, de sortir les jours fériés, tant il était recommandé de se reposer.



La dame, jour férié ou non, restait toujours sur son balcon, dans le soleil ou l'ombre, nuit et jour, à peler ses chats.
Le gardien de l'immeuble avait, depuis des années, renoncé à la faire rentrer dans l'appartement pour dormir. Depuis des années, elle lui répondait : mais qu'y ferait-elle ? Depuis que son Lucien était parti, posté par erreur avant son temps par un voisin étourdi à la place d'un vieil oncle sourd et muet qui ne cessait depuis de hurler à qui voulait l'entendre qu'il voulait partir tant il était fatigué par ses cent dix-huit années de vie ici-bas mais qu'il n'y avait plus de place pour lui plus de place dans les convois depuis que son grand bêta de neveu avait posté à sa place ce pauvre Lucien qui serait volontiers resté plus longtemps avec sa femme si gentille bien que, entre nous, il était bien prêt à partir le Lucien, branlant déjà, même s'il faisait encore le jeune homme, tout ça pour faire croire, parce qu'il avait une jolie femme, d'autres moins jeunes et moins flambards seraient bien restés aussi avec une aussi jolie femme, en tenant leur place tout aussi bien...
- Cinquante années de bonheur, de confiance réciproque, de respect avec mon Lucien, que voulez-vous que j'y fasse, maintenant, dans cet appartement ? Non, depuis qu'il n'y est plus, rien ne m'intéresse, à part mes chats, à cet instant un éclair bleu jaillissait dessous ses lunettes pour aller se ficher dans le regard muet du gardien, qui retournait à sa loge, vaincu.

Ce qu'elle ne disait pas, c'est que sa maison était vide, entièrement vide. Blanche, et vide. Qu'aurait-elle fait d'une maison, après le départ de Lucien ? Alors, elle avait commencé à tout manger, grignotant par ci, par là, un fauteuil, une assiette, un tapis... Elle avait mangé tout le mobilier. Elle n'avait gardé que les ampoules électriques, qu'elle allumait la nuit pour faire croire qu'elle y vivait encore quand les autres dormaient, et prévenir ainsi un éventuel convoi par la poste qu'elle n'aurait pas décidé elle-même, car ça ! elle s'était bien interdit de partir avant son heure comme ce pauvre Lucien, eh oui, cinquante huit années de bonheur et de respect mutuel, ça n'est pas si courant, mon cher mari...
Elle avait vécu du mobilier, ne touchant pas à la petite pension qui s'accumulait à la banque et devait en occuper des coffres, maintenant, ça devait bien les embêter, une pension qui grossissait et ne servait à rien, et elle souriait malignement... Et puis une fois les meubles mangés, et bien elle n'avait rien mangé du tout, et ne s'en portait pas plus mal. Elle était devenue plus fine, plus blanche, plus gracieuse quand elle penchait la taille pour accrocher une pelure aux croisillons.


Donc, les caveux sortaient la nuit et dormaient le jour. Enfin, lorsqu'ils avaient passé le premier jour, celui où une femme était venue les mettre bas, dans les rosiers, sous le regard curieux de la dame. Elle-même n'avait jamais mis bas, ni dans les rosiers, ni à la clinique. Une chose que son Lucien avait oublié de lui faire...

Ce jour, des femmes étaient venues déposer leur petit sous les roses, et les petits, qui étaient déjà à cette heure rescapés du passage des jardiniers municipaux, allaient bientôt atteindre l'ombre du balcon et le soupirail qui les conduirait au coeur des caves.
Quelques caveux, parmi les plus grands, étaient chargés de les aider à franchir le soupirail et les attendaient cachés derrière la grille. Ils ne dormaient pas le jour et un roulement était organisé pour qu'ils puissent être remplacés quand ils venaient à décéder de fatigue.

Les bébés braillards et gais étaient presque tous arrivés au terme. Quelques uns, plus paresseux ou plus poètes, traînaient encore sous les roses. A ce moment, la dame vit clairement entre les buissons pourpres une ombre s'allonger, se ramasser sur elle, s'allonger à nouveau, bondir comme une flèche d'un buisson à l'autre, une ombre noire, liquide, tellement sinueuse, elle sentit la passion s'éveiller, le plaisir anticipé lui mouilla la commissure des lèvres, son regard devint gai, gai comme celui des pinsons.

Une demi-heure plus tard, tout était joué. Après avoir rangé la poudre blanche et la corde de lin, elle s'apprêtait à ouvrir d'un coup sec, avec son opinel, la fourrure noire et luisante d'un énorme chat.


Le jardinier du soir, celui qui faisait la dernière tournée d'inspection avant la nuit, lui dit en ramassant les cadavres des derniers bébés, "- He bien ! il était beau celui que vous avez pris ce soir, regardez-moi comme ça dessèche tout si on ne les prend pas... on peut dire que vous nous aidez ! sans vous, jamais nous n'aurions de si belles fleurs, Madame... au fait, depuis le temps, puis-je vous demander votre petit nom ?
- Rose, jeune homme, Rose."



mardi 14 août 2007

La véritable et sainte histoire de Blandine

A Thérèse d'Avila
toute dépitée de n'avoir pas été martyrisée
par les Sarrasins


Le saviez-vous ? On ne nous a point conté la véritable histoire de Sainte Blandine .
Aussi joli et charmant soit-il, le récit qu'en fait la lettre des Eglises de Lyon et de Vienne aux Eglises d'Asie ne nous livre qu'une contrefaçon de l'oeuvre de la Sainte. L'Histoire se couvre d'étranges parures et ne s'en laisse pas aisément dépouiller, ainsi les ornements de fête qui entourent le souvenir de nos Saints. Est-ce pour épargner Dieu, bonhomme et sensible, qui verserait tant de larmes qu'aucun bénitier beau et miraculeux n'y suffirait, ou pour éviter qu'un tel débordement d'émotion sacrée n'effleure en nous le doute d'un divin remord d'avoir permis cette singulière falsification ? Plaise à Dieu que le récit simple et sincère de la Vérité nue éclaire les plus médisantes imaginations.

Je veux donc, aujourd'hui, vous conter l'histoire superbe et véridique de Sainte Blandine.



Sainte Blandine est née toute petite et Sainte. Ses parents, consultant le calendrier, s'aperçurent qu'aucune Blandine ne figurait au jour de naissance de leur fille, aucune Blandine, ni aucune autre d'ailleurs. La sainteté de leur petite leur ayant été révélée par sa blondeur divine et l'azur de ses yeux, ils décidèrent d'y inscrire leur fille, et que sa fête soit ainsi perpétuée au-delà de sa vie. L'Eglise et l'Etat Civil approuvèrent ce choix, ni l'une ni l'autre n'aimaient que les fêtes des Saints restassent inutilisées, les vols étant chose répandue, autant en ce qui concernait les festivités que les saintetés.

Sainte Blandine eut très tôt la vocation du martyr, elle adorait plonger ses petites mains blanches dans les massifs de roses tellement elle trouvait ravissante la chaude couleur carminée de son sang sur sa peau de lait. Elle en aimait aussi le goût âpre et velouté dans sa bouche. Elle trouvait joli que la souffrance s'habillât ainsi pour apparaître aux Saints, elle résolut de cultiver ce don et y prit grand plaisir.
Son enfance se passa donc sans histoire, entre le martyr et ses parents, sous le regard attendri des anges et de Dieu, qui aimait à encourager les vocations tellement il était bon et attentif à ses créatures. Il allait parfois jusqu'à lui favoriser plaies et dolences, en pourrissant dans l'instant la branche de noisetier sur laquelle Blandine était grimpée pour faire macération, en changeant la terre en sel lorsque l'enfant s'en nourrissait pour faire pénitence, selon le voeu de ses parents. Les anges le soupçonnaient, en le regardant dessous leurs paupières baissées, d'une certaine complaisance à l'égard de Blandine que certains pensaient n'être pas tout à fait désintéressée. Mais étant des anges, ils ne pouvaient deviner l'intérêt du Père, et n'étant nous-mêmes que des humains, nous ne pouvons imaginer ce que les anges ne savaient pas.
A l'adolescence, elle rencontra les premiers Vandales. Il n'en est point parlé dans les manuels, car ce n'était que quelques troupes d'éclaireurs venus mesurer le terrain quelques siècles avant que la décision de l'invasion ne fût prise par leur gouvernement. Ils ne s'en comportèrent pas moins comme de véritables Vandales, et la pauvre Blandine dut subir le viol et l'affront du viol autant de fois que fleurit et refleurit la branche de noisetier que Dieu dans son infinie bonté avait cassée sous les petites fesses blanches de l'enfant Sainte quelques années auparavant.

C'est à peu près à cette période de sa vie qu'advint le véritable drame de Sainte Blandine.


Nous étions en l'an 177, en cette belle ville de Lyon. Ses parents venaient d'y aménager une ravissante maison en bordure de Saône, et bien sûr traitaient, comme il était indiqué sur son acte de baptême, leur enfant en esclave. Une nuit froide où elle était partie laver du linge à la rivière, ce qui gerçait profondément ses mains et crevassait ses pieds, elle fut prise par des ennemis de Dieu. N'oublions pas qu'ils étaient alors nombreux et qu'il fallut encore bien des miracles avant que Dieu et son fils fussent reconnus par le bon peuple.
Elle fut donc enlevée avec d'autres jeunes esclaves, elles aussi envoyées à la rivière, la froidure de la nuit étant particulièrment piquante. Blandine, dans les geôles des Ignorants de Dieu, attendit patiemment son martyr. Elle ne doutait pas un instant que cette heure bénie fut venue, celle où elle allait partager avec ses compagnes la béatitude des anges et du Seigneur. D'autres enlevés de Dieu vinrent les rejoindre.
Quelques jours passèrent, occupés par les tourments et les tortures. Blandine s'y fit remarquer de ses compagnons et de ses geôliers par la dignité de son port et la bravoure de ses cris. Elle mettait une telle énergie à ne point abjurer sa Foi en Dieu qu'elle usa bien des tourmenteurs avant que le chef de ceux-ci, craignant pour la santé de son escouade, ne donnât l'ordre de ne plus la tourmenter. On la laissa seulement sans manger ni boire, ce qu'elle partagea d'un coeur léger avec ses compagnons.
Un premier convoi fut organisé pour les massacres, ainsi qu'il était d'usage après les temps de vérification. L'esclave Blandine, comme il était libellé sur son certificat de naissance à la rubrique sainteté, faisait partie de ce premier convoi dans lequel furent aussi emmenés Mature, Sancte, et Attale, tous bons Croyants. Les lions étaient affamés, le public excité par des jeux préalables, l'heure était venue de l'offrande. Tous étaient prêts, dans la joie et la fierté du sacrifice. Le jeu dura longtemps, le public fut enthousiaste et les lions rassasiés. Blandine fut déchiquetée, ses frêles membres déchirés par les crocs d'ivoire des fauves, son beau corps lacéré, éventré, arraché finalement à la croix où il était attaché par un lion d'Asie fort et malin, superbe. C'est en s'accrochant à sa crinière d'or et de miel qu'elle expira dans un soupir, non sans avoir une dernière fois eu le bonheur de contempler, ravie, la nacre et le vermeil, cette beauté du massacre des corps, divine image de la souffrance des âmes par laquelle le martyr lui avait été révélé en sa tendre enfance.

Sainte Blandine souffrit son martyr, et voilà bien l'ironie de l'histoire.
Une autre esclave faisant partie du même convoi, solidement nouée sur une croix voisine, repoussa les fauves. Dieu n'était pas avec elle. C'était une Ignorante, esclave de condition et non de baptême, qui dans la sombre nuit de l'enlèvement avait été confondue avec les Croyantes, et était restée engeôlée sans que ses plaintes en vérification aient abouti. Dieu, occupé au martyr de ses créatures, ne lui prêta point attention. Le public d'Ignorants trompé par de fausses informations sur la nature du martyr et du miracle, qui mélangeait d'ailleurs contre toute logique les deux évènements, crut que Blandine la Sainte, célèbre grâce à son attitude audacieuse et orgueilleuse pendant sa détention, était cette jeune femme que les lions dédaignaient. Dans leur ignorance, ils ne savaient pas que la Grâce de Dieu n'était pas d'être épargné, à peine était-ce la marque de son indifférence, mais au contraire d'être dévoré. Tous ceux qui devaient être dévorés ce jour-là le furent, sauf cette esclave inconnue restée dans l'Histoire sous le nom de Sainte Blandine par une aberration de l'esprit humain et ignorant.
Bien sûr, le lendemain elle fut livrée à un taureau et immolée. Peut-être était-ce le regard compatissant de Dieu qui lui fit trouver ce doux trépas bien qu'elle ne fût pas chrétienne, ou la miséricorde de Blandine qui lui pardonna ainsi le vol, bien involontaire, de sa sainteté. Pour ma part, je ne suis pas sûr que Dieu ne se sentît pas un peu coupable d'avoir, par l'attention trop appuyée qu'il porta au martyr de Blandine, permis ce terrible malentendu, et qu'il n'ait pas ainsi cherché à détourner notre attention de cet intérêt par le fait, fautif.

Restons en paix, quelle que fût la conduite de Notre Père, Sainte Blandine eut son martyr, superbe. Elle est au ciel, et fêtée comme il se doit à chacun des anniversaires de son sacrifice.
Les anges ne jureraient pas qu'elle a pardonné à Dieu, à voir son air hautain et réservé quand elle le croise dans les couloirs, mais elle a définitivement pardonné à l'autre Blandine, et ce sont des rires pleins de jeunesse et de gaieté que l'on entend dans les jardins, lorsque le soleil leur permet d'y tresser leur amitié au milieu des roses.


Est-ce pour ne pas raviver l'amertume au coeur de Blandine la Sainte que l'on nous cache son véritable destin ?
Mais, après tout, sa sainteté ne lui donne-t-elle pas tous les pouvoirs du pardon ?
Est-ce la célébration du martyr qui fait son sacrement ?
Non, nous ne lui croyons point de si terrestres sentiments... A moins qu'une troublante émotion ne nous vienne de la révélation du Mensonge. Imaginez-vous ? Depuis des siècles nous vivons à l'image des Ignorants, croyant que la faveur de Dieu est protection, tendresse caressante, amour épargné, et nous apprendrions ainsi que sa véritable grâce est souffrance, sacrifice, et massacre ?
Pis encore, que penser de l'effet si contraire de l'aimable attention du Dieu Tout Puissant au martyr consenti à l'une de ses créatures ?
Devant la douloureuse perplexité qui nous assaille, je vous prie de tourner vos prières vers ce jour de fête où nous rendrons grâce à la Sainte la plus aimée de nous tous, celle que même les lions de la plaine d'Asie ont voulu vénérer par leur tendre indifférence.