vendredi 27 août 2010

Lettres

La litote ?
Ah oui !
Cette jolie et piquante sottise
Qui est la jeune soeur de la licorne.

Lune

C'est là.
Ca se terre,
Jolis viscères,
Amour doré,
Rayon de lune.
A jamais, la lune
Pourra en rire.

Hommage à Glenn Gould

La salle de concert était vivement éclairée. Les caméras de télévision en place filmaient à la fois la scène et le parterre.
Assis au piano, l'homme vêtu de noir souffrait de tout son corps. Il se tordait comme un vieil arbre que le vent et le froid assiégeaient depuis des siècles de leurs morsures douloureuses contre lesquelles il n'avait rien d'autre à faire que se gauchir de souffrance et tenter désespérément de donner le moins de prise possible sur son pauvre corps prisonnier de la terre qu'il ne pouvait fuir, enraciné en elle. Sa nuque était courbée au-dessus du clavier, comme cassée sur son dos rond et difforme. Son visage, au demeurant très beau, était agité de tics et tous ses traits se tordaient dans le même élan de douleur désespérée qui torturait le corps. Je rêvai que souffrait l'homme penché sur le piano.
Ses mains blanches, longues, avec de très fins poils sur le dessus, étaient précises et efficaces comme la musique qu'elles jouaient et que l'homme écoutait dans l'oubli total de ce que semblait conter ailleurs son corps déjeté. Devant l'homme noir tordu et agité, de ses doigts harmonieux nous parvenaient des notes justes. Entendons bien, il s'agit de notes qui viennent précisément de là où la Grâce les fait naître et vont là exactement où Dieu en nous les attend, au coeur des hommes qui écoutent. Il s'agit que le son vienne avec précision et doigté nous toucher par sa couleur et sa texture, avec efficacité, dans une absolue simplicité qui est la marque la plus subtile et profonde de la sophistication, nécessaire et utile au beau. Il s'agit que toutes ces notes parfaites que nous avons entendues, une à une, ainsi que leur accord, que nous avons reçus en notre coeur comme ce qui devait être exactement émis, soient une musique, un texte réussi ; que la façon même dont elles nous sont arrivées, à la suite l'une de l'autre, fasse que la musique qu'il en advint ne pouvait être, dans l'instant, autre que ce qu'elle fut ; que notre coeur en ait reçu un apaisement et un contentement ; que nous reconnaissions en nous, étonné, le beau et le justement parfait. Beaucoup plus tard, nous pourrons dire combien nous avons été heureux, car dans l'instant-même, nous fûmes trop au coeur du bonheur pour nous en rendre compte, et il n'était pas souhaitable que nous l'eussions fait, puisque l'état de bonheur, pour être parfait, ne doit nous lasser d'autre loisir que de le goûter, comme un matin qui se lève.
L'homme noir posa ses mains sur ses genoux, dans un très court moment de repos, et souriant, il se leva vers la salle qui l'applaudissait. Une gratitude infinie s'échappait comme mille oiseaux blancs des mains qui battaient le contentement du coeur et du corps, un sourire flottait sur chaque bouche entrouverte pour un cri, mais aucun cri n'aurait pu dessiner aussi bien le bonheur surpris sur les lèvres. L'homme se rassit sur sa chaise, droit. Le présentateur de télévision vint le rejoindre et, tourné à la fois vers les caméras et le public, proposa à celui-ci de poser toutes les questions qu'il désirait au Maître.
" Oui, Monsieur dans la salle, voulez-vous le micro ?... Quelle est votre question ?
- Et bien, voilà, je voudrais vous demander, Maître, pourquoi vous sentez-vous obligé de nous imposer toutes ces grimaces qui, personnellement, m'empêchent gravement de goûter une musique que vous pourriez jouer avec plus de sobriété et de simplicité, ce qui ne ferait qu'ajouter à notre plaisir sans le gâter par des poses inutiles et affectées."

mardi 24 août 2010

Le Baiser de Soie
Editions Jets d'Encre
1 bis, avenue Foche
94100 St Maur-des-Fossés

sorti en librairie le 1er août 2010, Fnac Forum et Fnac.com, Feedage.com, Amazone.fr, et directement chez les libraires où vous pouvez le commander s'il n'est pas en boutique

L'eau, la grande eau, celle que Baptiste se plaît tant à observer quand la brume matinale se dissipe, sera doucement, et profondément, troublée par d'étranges bruits. Baptiste, à son tour ému, sortira des roseaux coupants. Loin des berges émeraudes et des oiseaux cliquetants, dans une nature luxuriante, il trouvera deux enfants perdus qui l'entraîneront à la recherche de leur chemin. Pur, Baptiste les aidera, ils accompliront ainsi leur destin. Un récit au bord du fantastique, tout en poésie et sensualité.

La dune

Du haut de la dune, l'enfant paraissait encore plus petite. Elle jouait à marcher sur le sable mouillé, à regarder lentement chaque pied s'imprimer dans la matière grise. Le ciel était d'un bleu de plomb, intense, électrique, presque foncé, sans aucun nuage. Le soleil devait être là-haut, mais trop violent pour qu'elle puisse le regarder. Le sable en était tout clair, doré, moutonné en dunes blondes. La mer ? Elle ne savait pas. Elle n'en voyait que le début, des dentelles blanches toujours en mouvement, qui bordaient un gros édredon sans couleur et sans fin. Elle était trop petite pour voir le dessus de l'édredon.

Des groupes de parents et d'enfants jouaient, éparpillés sur la plage. Elle n'y prenait pas garde, absorbée par la marque de ses pieds.


Elle ne jouait pas avec les autres. Elle ne se baignait pas. Le premier jour, elle avait couru dans l'eau comme elle courait vers la rivière. Mais ici, ça brûlait, ça piquait, c'était salé. On riait d'elle, surtout les garçons. Alors, elle n'y retourna pas. Et puis elle avait eu un peu peur de dépasser les bords de dentelle, et d'être mangée par cette masse toujours mouvante. La mer lui restait étrangère sauf cette plage grise, mouillée, douce, découverte par le jusant. Elle y pensait fort le soir, comme à un nougat mou sur lequel on laisse la marque de ses dents.

La maison blanche où l'on restait depuis deux semaines était tout près, isolée du village, le long d'un chemin sablonneux qui menait à la mer, et que personne n'empruntait jamais. En face de la maison, de l'autre côté du chemin, commençait la pinède et ses grands troncs noirs. Elle n'y pénétrait pas, pas au-delà des premiers ombrages. Ses parents lui avaient dit de ne jamais s'éloigner, que tout étranger était voleur d'enfant, que les inconnus qu'elle pourrait rencontrer allaient l'emporter, certainement pour lui faire du mal. Elle n'en savait pas plus, mais à entendre les voix lourdes des parents, ça devait être terrible. Une seule fois, rassurée de n'avoir jamais rencontré personne, elle s'était aventurée assez loin sous les pins. Elle aperçut tout à coup, entre les arbres, le toit d'une tente bleue comme le ciel, des êtres rôdaient autour. Elle eut très peur, si peur d'avoir vu les étrangers qui volent les petites filles qu'elle se sauva sans demande son reste, et ne se calma qu'en vue de la maison.


Le coeur battant, elle resta longtemps assise sur le rail du vieux chemin de fer endormi aux pieds des pins, à moitié enfoui dans le sol sabonneux sous les graminées si fines qui ondulent au moindre souffle et chatouillent les mollets, dorées, folles, si jolies. Elle avait un jour suivi ce chemin de fer. Il longeait la pinède en direction de la mer et se perdait dans le coeur d'une dune. De l'autre côté de la dune, c'était la plage. Quel train, quels gens avaient utilisé ces rails ? Elle était trop jeune pour reconnaître une de ces vieilles lignes qui traversent l'immensité désertique de l'Ouest, de l'autre côté de l'édredon sans couleur ni fin.


Elle passait beaucoup de temps là, hors de la maison, assise sur les bords du rail. Elle y respirait bien , loin du cercle de famille. Elle sentait le soleil comme une main chaude, douce et légère sur la peau. Lorsqu'il devenait trop chaud, elle reculait de quelques mètres sous l'ombre des pins, soûle de leur odeur forte, chauffée comme dans un brûle-parfum par le soleil. Elle voyait bien que c'était lui qui rendait tout si odorant, et que jamais en hiver les parfums ne devaient être si bons ni si forts. Elle savait aussi que c'étaient ses caresses, après une première douceur, qui avaient réveillé les vieilles blessures du rabot et aiguilles de sellerie sur ses jambes et ses cuisses. Elle en avait un moment souffert, mais maintenant sa peau bien lisse avait perdu cette coloration si particulière des matières qui ne voient jamais le jour et restent dans les placards humides et sombres. Elle était comme un petit caramel clair dans son maillot de bain gauffré jaune, noué derrière la nuque, sous son casque de cheveux blancs.

Assise là, petite, si petite et si menue sur le rail, elle réfléchissait à tout ce qu'elle découvrait, un pli creusé entre les sourcils, les yeux immobiles, grands et bleus. Elle serrait fort contre elle, sous son bras droit, la toute petite poupée qui ne la quittait jamais et dont la taille était soigneusement enturée de fils de nylon très fins et transparents.

Parmi tout ce qu'elle avait découvert, elle pensait beaucoup et souvent à Albin. Albin habitait avec ses parents et ses frères l'autre aile de la maison blanche, du côté du potager, là où il y avait le puits. Les enfants ne venaient pas sur le chemin de fer mais elle les retrouvait matin et soir autour du puits. La journée, ils partaient en voiture se promener elle ne savait où, mais avant ils avaient bu côte à côte, chemise de nuit longue jusqu'aux chevilles et pyjamas rayés, leur café au lait dans de grands bols blancs. Assise par terre, son bol à la main, elle les regardait intensément comme pour les traverser. Au début les garçons étaient un peu gênés par ce regard qui ne cillait pas. Puis ils s'étaient habitués. Pas elle. Ils paraissaient si étranges, toujours en mouvement, rien ne semblait les retenir.

Albin était le plus jeune de trois frères, à peu près de son âge. Il venait volontiers s'asseoir tout près d'elle. Il était alors aussi silencieux qu'elle, sauf qu'il éclatait de temps en temps d'un grand rire qui la faisait toujours sursauter. Il avait les cheveux courts, bruns, ébouriffés et plein de taches de rousseur sous des yeux marrons très clairs. Elle avait pu s'habituer à lui, et maintenant elle aimait bien son odeur chaude de petit garçon qui a beaucoup couru. Cependant, ils ne se parlaient pas. Le soir, après le repas, ils se retrouvaient à nouveau autour du puits. Elle aidait Albin et son père à arroser le potager. Chaque enfant avait un seau de plage, et portait l'eau du puits aux plates-bandes. Elle avait tout à fait conscience de participer à quelque chose de très important, très utile et très digne. C'était étrange et neuf. Puis la nuit tombait, ses parents l'appelaient. Elle rangeait le seau et rentrait dans la pièce sombre où on l'attendait pour la coucher après avoir joué avec elle. On lui enlevait son maillot, on rangeait soigneusement les fils de nylon très fins et transparents le long de ses bras et de ses jambes, et on la posait sur une couche blanche, bien enroulée dans la longue chemise de nuit. La toute petite poupée dormait posée près d'elle sur l'oreiller, débarrassée aussi des fils de nylon. Il suffisait de fermer les yeux pour attendre le soleil du lendemain, le rire et l'odeur d'Albin.

Un soir, il faisait encore très chaud, l'arrosage était joyeux, plus mouvementé que d'habitude. Albin s'empêtra dans son rire, et renversa sur lui le seau d'eau. Il se déshabilla rapidement, abandonna short et maillot mouillés sur la margelle du puits, et continua l'arrosage en slip. Il riait des éclaboussements d'eau sur sa peau brune et lisse. Elle riait aussi de le voir si drôle, et tous deux s'arrosaient les pieds, le corps. La terre giclait jusqu'aux mollets et l'eau jusqu'à leurs cheveux.

Soudain, elle ouvrit tout grand les yeux. Ses gestes se ralentirent. Le garçon presque nu, hoquetait, s'ébrouait, gesticulait dans une danse folle et comique. Elle s'approcha, maintenant silencieuse. Albin continuait de danser avec l'eau, il ne s'apercevait pas de ce calme soudain. Il dansait bras et jambes libres, sans poupée, ni rien d'autre, les mains vides. Elle l'éclaboussait de plus en plus près avec de l'eau fraîche, les goutelettes roulaient sur les épaules, la poitrine, les bras du garçon. Elle le voyait rire, bouger en tous sens pour se défendre des chatouilles des gouttes. Le soleil était plus bas que la maison. L'ombre s'étendait sur le jardin. Mais il faisait suffisamment clair, elle était suffisamment près pour voir sa peau fine. Alors, profitant d'une dernière giclée d'eau, comme il levait bien haut le bas au dessus de la tête, elle posa gravement son doigt, là, sur le pli si doux de l'aisselle d'Albin. Pas trace de fil. Pas le moindre signe. Pas la plus petite cicatrice. Une peau lisse, si lisse. Albin, surpris par le silence, baissa le bras. Ils se regardèrent longuement, profondément, comme des étrangers familiers qui se découvrent enfin. Elle avait un éclat métallique dans les yeux. Albin frissonna. Comme la lampe s'allumait dans la cuisine de sa mère, il ramassa ses habits à la hâte, bredouilla vaguement bonsoir, et alla vite s'asseoir dans le cercle de lumière.

Elle resta longtemps immobile à côté du puits, les pieds dans la terre mouillée, sa poupée serrée contre elle. Elle se fit un peu disputer pour son retard, lorsqu'enfin elle rentra dans la pièce sombre où on l'attendait. Elle fut déshabillée. Les fils de nylon bien tendus à leur place, la chemise l'enveloppant toute, elle reposait maintenant sur le lit, la poupée à côté d'elle. Il faisait noir. Pas un rai de lumière ne passait d'entre les volets. Elle s'endormit les yeux grands ouverts, dans un silence absolu.

Le lendemain, en fin de matinée, lorsque les parents l'appelèrent pour le repas, elle ne répondit pas. Elle n'était pas sur les rails, ni dans l'ombre des pins. Les garçons ne l'avaient pas vue depuis le petit déjeuner près du puits. Les parents l'appelèrent tout autour de la maison, puis dans les dunes, puis dans la forêt, puis sur la plage. On demanda aux jeunes gens qui campaient dans la pinède. Tout le village fut prévenu et chercha une petite fille, toute petite, blonde et dorée, avec une toute poupée sous le bras droit, et un maillot de bain gauffré jaune, noué derrière la nuque.

Cela dura deux jours, On ne trouva rien, ni personne qui avait pu la rencontrer. Le troisième jour, Albin était assis, seul, sur les rails du chemin de fer. Il avait quitté la maison, le jardin et le puits où on ne parlait plus que de Sophie. Il était triste. Il ne connaissait pas auparavant cette morsure à la pointe du coeur qui lui faisait fuir les autres et retrouver les rails. Il supposait que Sophie lui manquait, mais il ne savait rien de ces sentiments qui aujourd'hui l'agitaient. Machinalement il se leva, longea le chemin de fer vers la plage. Il secouait les herbes du pied, et rejetait le sable vers les troncs noirs des pins. Tout à coup, il se pencha en avant, attiré par l'éclat blanc d'une lame. C'était son petit couteau au manche nacré. Il l'avait perdu depuis trois jours, depuis ce matin où Sophie avait dispau. Il brillait entre les herbes, au milieu des rails. Il le ramassa et vit les traces des petits pieds. Les petits pieds s'étaient enfuis tout droit, tout à fait au milieu des rails, légers, à peine marqués. Il les suivit jusqu'au bout, jusqu'à la dune dans laquelle disparaissaient les deux barres d'acier rouillé. Là, fichée dans le sable jusqu'à la taille, comme si un tunnel, un instant ouvert, s'était aussitôt refermé sur elle, il trouva la poupée de Sophie qu'elle ne voulait jamais quitter, toujours serrée contre elle. Il la prit, secoua le sable. Des fils très fins, transparents, étaient soigneusement enroulés autour de sa taille, chaque bout achevé par un petit noeud, avec juste une goutte de sang séché au bout de chaque noeud.

lundi 23 août 2010

Jeu de cartes, corps principal.

Le nouveau Roi et sa jeune Reine jouaient.
Il était tard, tout dormait dans le palais,
dans le noir.
Le petit Dauphin dormait aussi,
Tranquillement depuis que le Roi et la Reine avaient un nouveau jouet.
Le Dauphin aimait beaucoup le jouet.
Parfois on les laissait seuls. Il était petit, tout rose, très tendre, il gigotait doucement, gentiment,
et le petit Dauphin lui disait tout bas de bien jolis mots,
Lui baisait les genoux, les poignets,
Entre chaque mot,
Petite fleur, rose,
Comme du buvard,
Tu ne piques pas,
Tu ne donnes pas de coup de pied,
Tu sens bon,
Tu es douce,
Tendre, je crois que je t'aime pour de vrai, il ne faut pas le dire,
Le Roi et la Reine ne le savent pas, ils n'aimeraient pas ça.
Ils jouaient ainsi dans le plus grand secret.


A la Cour, personne ne savait aimer pour de vrai.
On ne pensait pas d'ailleurs que ce fût possible. Seul le Dauphin aimait pour de vrai, parce qu'il
était encore petit et que le jouet, tout neuf, si joli et gentil, se laissait très bien faire.


Donc, le petit Dauphin dormait dans la paix d'une nuit de Dauphin et le bonheur d'un joli amour.


Le Roi et la Reine jouaient,
Mais ils ne savaient pas jouer. On ne leur avait jamais appris. Les vieux Rois et vieilles Reines
avaient eu autre chose à faire. En ces temps anciens, le royaume n'était pas solidement établi
et on n'avait pas de temps à consacrer à l'amour et au jeux. Tout cela était devenu du temps
concassé, on en sortait tout bossu, contrefait et maladroit. Maintenant le Roi et la Reine avaient le temps, mais ils ne savaient pas s'en servir, ils restaient très abîmés par le souvenir des
temps anciens. Alors, ils essayaient tout seuls ces choses qu'ils ne connaissaient pas, et ils
faisaient tout à l'envers,
Ils ne savaient lire que le dos des cartes, ils employaient tout ce temps à contre-sens.


Un jour, ils eurent l'idée que les jouets pourraient leur apprendre.
Ils commandèrent le Dauphin, mais il fallut bien que le Dauphin devienne le Dauphin, ils
commandèrent alors un autre jouet qui ne servirait qu'à jouer,
Rose et petit,
Joli.
Il leur fut donné,
Une princesse,
C'était très bien fait, tout à fait ressemblant,
Et le Dauphin était devenu le Dauphin, et le nouveau jouet, la Princesse.


Le nouveau jouet, lui, n'était pas content.

Il n'aimait pas le Roi et la Reine. Il les trouvait ignorants, barbares, malhonnêtes, pour tout dire
bêtes et méchants.
Heureusement, il y avait le Dauphin qui lui disait mille jolis mots,
Et lui faisait mille douceurs.
C'était si doux, que le nouveau jouet rêvait qu'il pourrait devenir une vraie Princesse.
Mais ils n'avaient pas le temps, le Roi et la Reine n'aimaient pas cela, on les aurait grondés, ou
crus malades et on aurait appelé le Médecin du Roi.

Alors le jouet supportait en silence le Roi et la Reine, leurs jeux brutaux, bizarres, tout à l'envers, Rien dans le bon sens.


Une chose, cependant, était très ennuyeuse.
Le Roi et la Reine, qui ne savaient pas comment étaient faits les jouets, avaient inventé un jeu,
essayer de voir si le jouet cassait. Parfois il était prêt à casser. Le petit Dauphin, qui avait
quelques souvenirs du temps où il était jouet, l'avait deviné et lui conseilla de faire semblant.
Le Roi et la Reine le croiraient cassé, ils auraient très peur du Grand Intendant des
Fournitures, ils s'arrêteraient de jouer. Le nouveau jouet avait dû souvent faire semblant, et le
Roi et la Reine aimaient de plus en plus ce jeu, très excités de voir que le jouet ne cassait pas
pour de vrai.

Le Roi et la Reine jouaient, et le jouet servait à jouer.
Ils jouaient comme ils n'avaient jamais joué.
La Reine montrait au Roi comment était fait le petit jouet,
En chacun de ses plis,
Et le Roi, éperdu, jouait, et la Reine riait,
Et le Roi se remit à jouer, à faire ce qui me plait,
Et si on jouait à casser le jouet ? disait la Reine,
Pas pour de vrai, juste pour voir, et le Roi jouait avec force et entrain, parce qu'il était le Roi,
Et la Reine riait beaucoup, le Roi était emporté par le tourbillon du jeu...
Le jouet avait bien du mal à résister.
Il ne savait pas comment leur dire, arrêtez-vous, ça fait mal ! Je n'en peux plus...
Il allait faire semblant de casser...
Mais il ne se sentait pas bien du tout,
Il entendait, lointain, le rire en grelot de la Reine,
Il voyait le visage du Roi au dessus de lui, hilare, déformé, flou,
Il se sentait tout drôle,
Avec un grand vide à l'intérieur de lui, du noir plein les yeux, il ne savait plus s'il faisait
semblant...
Ou si... il était...
Tout à coup le jouet devint tout noir, tordu,
Puis tout mou et rose,
Le Roi et la Reine continuaient de rire,
Devant eux le jouet était inerte,
Il ne bougeait plus.
Le Roi et la Reine s'arrêtèrent,
Le jouet mou entre leurs mains.
Ils se regardèrent, ils pensaient : peut-être est-il cassé ?
Mais non, c'est comme les autres fois, ce n'est pas pour de vrai, il va se réveiller.
Le jouet ne bougeait pas, plus du tout. Le Roi et la Reine le frottèrent, l'appelèrent, ils lui dirent :
mais ce n'était pas pour de vrai, réveille-toi, on ne joue plus, on te laisse tranquille, rien n'y
faisait, pas un mouvement, pas un souffle. Seulement, le jouet était inerte et rose.

Le Roi et la reine comprirent : le jouet était cassé.

Qu'allaient-ils faire ? Tu vois, disait la Reine, tu vas toujours trop loin, tu n'en fais qu'à ta tête,
mais c'est toi qui as voulu voir si le jouet allait casser, disait le Roi, très embêté. Et qu'allait dire
le Grand Intendant des Fournitures ? Il aimait beaucoup les jouets,
Il n'était même là que pour ça.
On va appeler le Médecin du Roi, dit la Reine, que lui dire ? dit le Roi, je ne sais pas, que le jouet
était trop fragile, il l'avait remarqué d'ailleurs,
Souviens-toi,
Il l'a dit,
Et puis nous ne savons pas, nous, nous ne l'avons pas touché ! Nous sommes tellement
malheureux d'avoir perdu notre jouet, et la Reine se mit à pleurer, à pleurer très fort, de plus
en plus fort, si fort qu'elle réveilla tout le palais, et les rues tout à l'entour.

Le royaume prit le deuil, on enterra la petite Princesse avec tous les honneurs dus à son rang, le
Roi et la Reine étaient si malheureux, le peuple tellement ému, la parade et les dignitaires,
même les vieux Rois et les vieilles Reines pleuraient tant et tant que le pays faillit être noyé.

Seul, le petit Dauphin ne pleurait pas,
Avec rage, il répétait tout bas,
Bouche close,
Sans cesse,
Je lui avais pourtant bien dit de faire semblant,
Avant,
Je le lui avais pourtant bien dit.

Jeu de cartes, exergue.

Le vieux Roi et la Reine Mère ne jouaient pas aux cartes.
Il n'était pas temps de jouer,
Le royaume était à construire.
Le vieux Roi et la Reine Mère avaient donc retourné les cartes,
Et comme il fallait bien que corps se passent,
Cela se passait à l'envers des cartes.
C'est ainsi que la Princesse eut l'enfant du Roi.
La Reine Mère détesta que cette carte fut jouée,
Elle la déclara trichée et fit mourir l'enfant du Roi.
La Princesse crut d'abord qu'on en voulait à sa vie,
Elle faillit mourir de peur. Puis elle comprit que c'était à l'enfant du Roi qu'on en voulait,
Elle eut peur de mourir d'horreur,
C'était l'enfant du Roi.
Est-ce le Roi lui-même qui mit l'enfant au pied de l'arbre comme une cerise mûre,
ou la Reine Mère,
Juste avant qu'elle ne vît que la Princesse allait rendre l'âme ?
L'enfant mort reposait dans le verger lorsque la Princesse sauvée eut envie pour la vie de mourir.
...