mardi 14 août 2007

La véritable et sainte histoire de Blandine

A Thérèse d'Avila
toute dépitée de n'avoir pas été martyrisée
par les Sarrasins


Le saviez-vous ? On ne nous a point conté la véritable histoire de Sainte Blandine .
Aussi joli et charmant soit-il, le récit qu'en fait la lettre des Eglises de Lyon et de Vienne aux Eglises d'Asie ne nous livre qu'une contrefaçon de l'oeuvre de la Sainte. L'Histoire se couvre d'étranges parures et ne s'en laisse pas aisément dépouiller, ainsi les ornements de fête qui entourent le souvenir de nos Saints. Est-ce pour épargner Dieu, bonhomme et sensible, qui verserait tant de larmes qu'aucun bénitier beau et miraculeux n'y suffirait, ou pour éviter qu'un tel débordement d'émotion sacrée n'effleure en nous le doute d'un divin remord d'avoir permis cette singulière falsification ? Plaise à Dieu que le récit simple et sincère de la Vérité nue éclaire les plus médisantes imaginations.

Je veux donc, aujourd'hui, vous conter l'histoire superbe et véridique de Sainte Blandine.



Sainte Blandine est née toute petite et Sainte. Ses parents, consultant le calendrier, s'aperçurent qu'aucune Blandine ne figurait au jour de naissance de leur fille, aucune Blandine, ni aucune autre d'ailleurs. La sainteté de leur petite leur ayant été révélée par sa blondeur divine et l'azur de ses yeux, ils décidèrent d'y inscrire leur fille, et que sa fête soit ainsi perpétuée au-delà de sa vie. L'Eglise et l'Etat Civil approuvèrent ce choix, ni l'une ni l'autre n'aimaient que les fêtes des Saints restassent inutilisées, les vols étant chose répandue, autant en ce qui concernait les festivités que les saintetés.

Sainte Blandine eut très tôt la vocation du martyr, elle adorait plonger ses petites mains blanches dans les massifs de roses tellement elle trouvait ravissante la chaude couleur carminée de son sang sur sa peau de lait. Elle en aimait aussi le goût âpre et velouté dans sa bouche. Elle trouvait joli que la souffrance s'habillât ainsi pour apparaître aux Saints, elle résolut de cultiver ce don et y prit grand plaisir.
Son enfance se passa donc sans histoire, entre le martyr et ses parents, sous le regard attendri des anges et de Dieu, qui aimait à encourager les vocations tellement il était bon et attentif à ses créatures. Il allait parfois jusqu'à lui favoriser plaies et dolences, en pourrissant dans l'instant la branche de noisetier sur laquelle Blandine était grimpée pour faire macération, en changeant la terre en sel lorsque l'enfant s'en nourrissait pour faire pénitence, selon le voeu de ses parents. Les anges le soupçonnaient, en le regardant dessous leurs paupières baissées, d'une certaine complaisance à l'égard de Blandine que certains pensaient n'être pas tout à fait désintéressée. Mais étant des anges, ils ne pouvaient deviner l'intérêt du Père, et n'étant nous-mêmes que des humains, nous ne pouvons imaginer ce que les anges ne savaient pas.
A l'adolescence, elle rencontra les premiers Vandales. Il n'en est point parlé dans les manuels, car ce n'était que quelques troupes d'éclaireurs venus mesurer le terrain quelques siècles avant que la décision de l'invasion ne fût prise par leur gouvernement. Ils ne s'en comportèrent pas moins comme de véritables Vandales, et la pauvre Blandine dut subir le viol et l'affront du viol autant de fois que fleurit et refleurit la branche de noisetier que Dieu dans son infinie bonté avait cassée sous les petites fesses blanches de l'enfant Sainte quelques années auparavant.

C'est à peu près à cette période de sa vie qu'advint le véritable drame de Sainte Blandine.


Nous étions en l'an 177, en cette belle ville de Lyon. Ses parents venaient d'y aménager une ravissante maison en bordure de Saône, et bien sûr traitaient, comme il était indiqué sur son acte de baptême, leur enfant en esclave. Une nuit froide où elle était partie laver du linge à la rivière, ce qui gerçait profondément ses mains et crevassait ses pieds, elle fut prise par des ennemis de Dieu. N'oublions pas qu'ils étaient alors nombreux et qu'il fallut encore bien des miracles avant que Dieu et son fils fussent reconnus par le bon peuple.
Elle fut donc enlevée avec d'autres jeunes esclaves, elles aussi envoyées à la rivière, la froidure de la nuit étant particulièrment piquante. Blandine, dans les geôles des Ignorants de Dieu, attendit patiemment son martyr. Elle ne doutait pas un instant que cette heure bénie fut venue, celle où elle allait partager avec ses compagnes la béatitude des anges et du Seigneur. D'autres enlevés de Dieu vinrent les rejoindre.
Quelques jours passèrent, occupés par les tourments et les tortures. Blandine s'y fit remarquer de ses compagnons et de ses geôliers par la dignité de son port et la bravoure de ses cris. Elle mettait une telle énergie à ne point abjurer sa Foi en Dieu qu'elle usa bien des tourmenteurs avant que le chef de ceux-ci, craignant pour la santé de son escouade, ne donnât l'ordre de ne plus la tourmenter. On la laissa seulement sans manger ni boire, ce qu'elle partagea d'un coeur léger avec ses compagnons.
Un premier convoi fut organisé pour les massacres, ainsi qu'il était d'usage après les temps de vérification. L'esclave Blandine, comme il était libellé sur son certificat de naissance à la rubrique sainteté, faisait partie de ce premier convoi dans lequel furent aussi emmenés Mature, Sancte, et Attale, tous bons Croyants. Les lions étaient affamés, le public excité par des jeux préalables, l'heure était venue de l'offrande. Tous étaient prêts, dans la joie et la fierté du sacrifice. Le jeu dura longtemps, le public fut enthousiaste et les lions rassasiés. Blandine fut déchiquetée, ses frêles membres déchirés par les crocs d'ivoire des fauves, son beau corps lacéré, éventré, arraché finalement à la croix où il était attaché par un lion d'Asie fort et malin, superbe. C'est en s'accrochant à sa crinière d'or et de miel qu'elle expira dans un soupir, non sans avoir une dernière fois eu le bonheur de contempler, ravie, la nacre et le vermeil, cette beauté du massacre des corps, divine image de la souffrance des âmes par laquelle le martyr lui avait été révélé en sa tendre enfance.

Sainte Blandine souffrit son martyr, et voilà bien l'ironie de l'histoire.
Une autre esclave faisant partie du même convoi, solidement nouée sur une croix voisine, repoussa les fauves. Dieu n'était pas avec elle. C'était une Ignorante, esclave de condition et non de baptême, qui dans la sombre nuit de l'enlèvement avait été confondue avec les Croyantes, et était restée engeôlée sans que ses plaintes en vérification aient abouti. Dieu, occupé au martyr de ses créatures, ne lui prêta point attention. Le public d'Ignorants trompé par de fausses informations sur la nature du martyr et du miracle, qui mélangeait d'ailleurs contre toute logique les deux évènements, crut que Blandine la Sainte, célèbre grâce à son attitude audacieuse et orgueilleuse pendant sa détention, était cette jeune femme que les lions dédaignaient. Dans leur ignorance, ils ne savaient pas que la Grâce de Dieu n'était pas d'être épargné, à peine était-ce la marque de son indifférence, mais au contraire d'être dévoré. Tous ceux qui devaient être dévorés ce jour-là le furent, sauf cette esclave inconnue restée dans l'Histoire sous le nom de Sainte Blandine par une aberration de l'esprit humain et ignorant.
Bien sûr, le lendemain elle fut livrée à un taureau et immolée. Peut-être était-ce le regard compatissant de Dieu qui lui fit trouver ce doux trépas bien qu'elle ne fût pas chrétienne, ou la miséricorde de Blandine qui lui pardonna ainsi le vol, bien involontaire, de sa sainteté. Pour ma part, je ne suis pas sûr que Dieu ne se sentît pas un peu coupable d'avoir, par l'attention trop appuyée qu'il porta au martyr de Blandine, permis ce terrible malentendu, et qu'il n'ait pas ainsi cherché à détourner notre attention de cet intérêt par le fait, fautif.

Restons en paix, quelle que fût la conduite de Notre Père, Sainte Blandine eut son martyr, superbe. Elle est au ciel, et fêtée comme il se doit à chacun des anniversaires de son sacrifice.
Les anges ne jureraient pas qu'elle a pardonné à Dieu, à voir son air hautain et réservé quand elle le croise dans les couloirs, mais elle a définitivement pardonné à l'autre Blandine, et ce sont des rires pleins de jeunesse et de gaieté que l'on entend dans les jardins, lorsque le soleil leur permet d'y tresser leur amitié au milieu des roses.


Est-ce pour ne pas raviver l'amertume au coeur de Blandine la Sainte que l'on nous cache son véritable destin ?
Mais, après tout, sa sainteté ne lui donne-t-elle pas tous les pouvoirs du pardon ?
Est-ce la célébration du martyr qui fait son sacrement ?
Non, nous ne lui croyons point de si terrestres sentiments... A moins qu'une troublante émotion ne nous vienne de la révélation du Mensonge. Imaginez-vous ? Depuis des siècles nous vivons à l'image des Ignorants, croyant que la faveur de Dieu est protection, tendresse caressante, amour épargné, et nous apprendrions ainsi que sa véritable grâce est souffrance, sacrifice, et massacre ?
Pis encore, que penser de l'effet si contraire de l'aimable attention du Dieu Tout Puissant au martyr consenti à l'une de ses créatures ?
Devant la douloureuse perplexité qui nous assaille, je vous prie de tourner vos prières vers ce jour de fête où nous rendrons grâce à la Sainte la plus aimée de nous tous, celle que même les lions de la plaine d'Asie ont voulu vénérer par leur tendre indifférence.