lundi 23 août 2010

Jeu de cartes, corps principal.

Le nouveau Roi et sa jeune Reine jouaient.
Il était tard, tout dormait dans le palais,
dans le noir.
Le petit Dauphin dormait aussi,
Tranquillement depuis que le Roi et la Reine avaient un nouveau jouet.
Le Dauphin aimait beaucoup le jouet.
Parfois on les laissait seuls. Il était petit, tout rose, très tendre, il gigotait doucement, gentiment,
et le petit Dauphin lui disait tout bas de bien jolis mots,
Lui baisait les genoux, les poignets,
Entre chaque mot,
Petite fleur, rose,
Comme du buvard,
Tu ne piques pas,
Tu ne donnes pas de coup de pied,
Tu sens bon,
Tu es douce,
Tendre, je crois que je t'aime pour de vrai, il ne faut pas le dire,
Le Roi et la Reine ne le savent pas, ils n'aimeraient pas ça.
Ils jouaient ainsi dans le plus grand secret.


A la Cour, personne ne savait aimer pour de vrai.
On ne pensait pas d'ailleurs que ce fût possible. Seul le Dauphin aimait pour de vrai, parce qu'il
était encore petit et que le jouet, tout neuf, si joli et gentil, se laissait très bien faire.


Donc, le petit Dauphin dormait dans la paix d'une nuit de Dauphin et le bonheur d'un joli amour.


Le Roi et la Reine jouaient,
Mais ils ne savaient pas jouer. On ne leur avait jamais appris. Les vieux Rois et vieilles Reines
avaient eu autre chose à faire. En ces temps anciens, le royaume n'était pas solidement établi
et on n'avait pas de temps à consacrer à l'amour et au jeux. Tout cela était devenu du temps
concassé, on en sortait tout bossu, contrefait et maladroit. Maintenant le Roi et la Reine avaient le temps, mais ils ne savaient pas s'en servir, ils restaient très abîmés par le souvenir des
temps anciens. Alors, ils essayaient tout seuls ces choses qu'ils ne connaissaient pas, et ils
faisaient tout à l'envers,
Ils ne savaient lire que le dos des cartes, ils employaient tout ce temps à contre-sens.


Un jour, ils eurent l'idée que les jouets pourraient leur apprendre.
Ils commandèrent le Dauphin, mais il fallut bien que le Dauphin devienne le Dauphin, ils
commandèrent alors un autre jouet qui ne servirait qu'à jouer,
Rose et petit,
Joli.
Il leur fut donné,
Une princesse,
C'était très bien fait, tout à fait ressemblant,
Et le Dauphin était devenu le Dauphin, et le nouveau jouet, la Princesse.


Le nouveau jouet, lui, n'était pas content.

Il n'aimait pas le Roi et la Reine. Il les trouvait ignorants, barbares, malhonnêtes, pour tout dire
bêtes et méchants.
Heureusement, il y avait le Dauphin qui lui disait mille jolis mots,
Et lui faisait mille douceurs.
C'était si doux, que le nouveau jouet rêvait qu'il pourrait devenir une vraie Princesse.
Mais ils n'avaient pas le temps, le Roi et la Reine n'aimaient pas cela, on les aurait grondés, ou
crus malades et on aurait appelé le Médecin du Roi.

Alors le jouet supportait en silence le Roi et la Reine, leurs jeux brutaux, bizarres, tout à l'envers, Rien dans le bon sens.


Une chose, cependant, était très ennuyeuse.
Le Roi et la Reine, qui ne savaient pas comment étaient faits les jouets, avaient inventé un jeu,
essayer de voir si le jouet cassait. Parfois il était prêt à casser. Le petit Dauphin, qui avait
quelques souvenirs du temps où il était jouet, l'avait deviné et lui conseilla de faire semblant.
Le Roi et la Reine le croiraient cassé, ils auraient très peur du Grand Intendant des
Fournitures, ils s'arrêteraient de jouer. Le nouveau jouet avait dû souvent faire semblant, et le
Roi et la Reine aimaient de plus en plus ce jeu, très excités de voir que le jouet ne cassait pas
pour de vrai.

Le Roi et la Reine jouaient, et le jouet servait à jouer.
Ils jouaient comme ils n'avaient jamais joué.
La Reine montrait au Roi comment était fait le petit jouet,
En chacun de ses plis,
Et le Roi, éperdu, jouait, et la Reine riait,
Et le Roi se remit à jouer, à faire ce qui me plait,
Et si on jouait à casser le jouet ? disait la Reine,
Pas pour de vrai, juste pour voir, et le Roi jouait avec force et entrain, parce qu'il était le Roi,
Et la Reine riait beaucoup, le Roi était emporté par le tourbillon du jeu...
Le jouet avait bien du mal à résister.
Il ne savait pas comment leur dire, arrêtez-vous, ça fait mal ! Je n'en peux plus...
Il allait faire semblant de casser...
Mais il ne se sentait pas bien du tout,
Il entendait, lointain, le rire en grelot de la Reine,
Il voyait le visage du Roi au dessus de lui, hilare, déformé, flou,
Il se sentait tout drôle,
Avec un grand vide à l'intérieur de lui, du noir plein les yeux, il ne savait plus s'il faisait
semblant...
Ou si... il était...
Tout à coup le jouet devint tout noir, tordu,
Puis tout mou et rose,
Le Roi et la Reine continuaient de rire,
Devant eux le jouet était inerte,
Il ne bougeait plus.
Le Roi et la Reine s'arrêtèrent,
Le jouet mou entre leurs mains.
Ils se regardèrent, ils pensaient : peut-être est-il cassé ?
Mais non, c'est comme les autres fois, ce n'est pas pour de vrai, il va se réveiller.
Le jouet ne bougeait pas, plus du tout. Le Roi et la Reine le frottèrent, l'appelèrent, ils lui dirent :
mais ce n'était pas pour de vrai, réveille-toi, on ne joue plus, on te laisse tranquille, rien n'y
faisait, pas un mouvement, pas un souffle. Seulement, le jouet était inerte et rose.

Le Roi et la reine comprirent : le jouet était cassé.

Qu'allaient-ils faire ? Tu vois, disait la Reine, tu vas toujours trop loin, tu n'en fais qu'à ta tête,
mais c'est toi qui as voulu voir si le jouet allait casser, disait le Roi, très embêté. Et qu'allait dire
le Grand Intendant des Fournitures ? Il aimait beaucoup les jouets,
Il n'était même là que pour ça.
On va appeler le Médecin du Roi, dit la Reine, que lui dire ? dit le Roi, je ne sais pas, que le jouet
était trop fragile, il l'avait remarqué d'ailleurs,
Souviens-toi,
Il l'a dit,
Et puis nous ne savons pas, nous, nous ne l'avons pas touché ! Nous sommes tellement
malheureux d'avoir perdu notre jouet, et la Reine se mit à pleurer, à pleurer très fort, de plus
en plus fort, si fort qu'elle réveilla tout le palais, et les rues tout à l'entour.

Le royaume prit le deuil, on enterra la petite Princesse avec tous les honneurs dus à son rang, le
Roi et la Reine étaient si malheureux, le peuple tellement ému, la parade et les dignitaires,
même les vieux Rois et les vieilles Reines pleuraient tant et tant que le pays faillit être noyé.

Seul, le petit Dauphin ne pleurait pas,
Avec rage, il répétait tout bas,
Bouche close,
Sans cesse,
Je lui avais pourtant bien dit de faire semblant,
Avant,
Je le lui avais pourtant bien dit.

Jeu de cartes, exergue.

Le vieux Roi et la Reine Mère ne jouaient pas aux cartes.
Il n'était pas temps de jouer,
Le royaume était à construire.
Le vieux Roi et la Reine Mère avaient donc retourné les cartes,
Et comme il fallait bien que corps se passent,
Cela se passait à l'envers des cartes.
C'est ainsi que la Princesse eut l'enfant du Roi.
La Reine Mère détesta que cette carte fut jouée,
Elle la déclara trichée et fit mourir l'enfant du Roi.
La Princesse crut d'abord qu'on en voulait à sa vie,
Elle faillit mourir de peur. Puis elle comprit que c'était à l'enfant du Roi qu'on en voulait,
Elle eut peur de mourir d'horreur,
C'était l'enfant du Roi.
Est-ce le Roi lui-même qui mit l'enfant au pied de l'arbre comme une cerise mûre,
ou la Reine Mère,
Juste avant qu'elle ne vît que la Princesse allait rendre l'âme ?
L'enfant mort reposait dans le verger lorsque la Princesse sauvée eut envie pour la vie de mourir.
...